À la croisée d’une expérience et d’une passion

Ingénieur agronome et philosophe de formation, ma carrière professionnelle s’est déroulée dans l’administration de la formation et celle de la recherche. J’ai souvent été amenée à trouver la forme juste entre la communication institutionnelle et l’expression complexe des créateurs d’innovations pédagogiques ou scientifiques. Trouver les mots pour le dire et être compris du lecteur n’est pas simple.

Une fois à la retraite et toujours passionnée d’écriture et de photographie, j’ai participé à plusieurs ateliers d’écriture en ligne et workshops photographiques. Cela m’a permis une confrontation à des formes très diverses d’écriture et le constat que les photographes les plus créatifs ont du mal à se présenter et à présenter leurs démarches. Or l’écrit reste central pour tous les créateurs en quête de financement, de bourses, de résidences, d’expositions, d’articles de presse. C’est ainsi qu’est née l’idée de proposer mes compétences en écriture à des créateurs.

Chabeuil chantier, photographie de Danièle Godard-Livet

La place de l’écrit

L’écrit est aujourd’hui concurrencé par l’image et la vidéo (certains écrivains développent même l’idée de la Littératube, vidéo-écriture, littérature sur YouTube !). Pourtant, il suffit de fréquenter des photographes pour percevoir qu’ils ne sont pas les derniers à avoir besoin d’écrits dans toutes sortes de situations. La présentation de la démarche artistique est un passage obligé que sollicitent tous les curateurs ! Et parfois, la démarche semble plus importante que l’œuvre ! Sans mettre en avant toutes les occasions où l’écrit reste fondamental (qui ne concernent pas obligatoirement les créateurs, de l’apprentissage à la preuve en matière juridique), il reste beaucoup d’espace où il est nécessaire de maîtriser cette manière particulière d’utiliser le langage qu’est l écrit.

L’écoute et la médiation

La richesse et la complexité de l’univers des créateurs demandent à être longuement écoutées, car ce qui se conçoit bien s’énonce rarement clairement. C’est foisonnant, mouvant, plein de références qui n’ont rien de littéraire, sous-tendu par des émotions déroutantes et inconnues, encombré de fantasmes et des impasses auxquels ils se heurtent. Ils suivent rarement une ligne droite et c’est dans ces méandres qu’il faut les accompagner.

Ce n’est pas pour rien qu’ils ont choisi de s’exprimer autrement qu’à travers l’écrit. Les champions du montage vidéo, des analyses statistiques ou de l’aménagement urbain font peut-être des fautes d’orthographe ou ont du mal à aligner des phrases, mais l’important n’est pas là. Ils doutent que l’écrit traduise correctement la complexité du monde tel qu’ils l’appréhendent. Il faut devenir médiateur, passeur, entremetteur et prendre le temps de discuter longuement le texte produit. L’accompagnement de collectifs de créateurs (workshop photographique, équipe municipale, unité de recherche) multiplie les occasions de médiation et de relectures plurielles et attentives.

Une modestie de scribe

Il faut de la modestie pour remplir cette mission où les textes sont toujours signés par le créateur et non par le scribe et où les recherches effectuées pour entrer dans la compréhension de leur monde sont peu valorisées. Néanmoins l’échange est équilibré par le plaisir de la fréquentation des créateurs et celui de la découverte de leurs univers qui alimente mon écriture personnelle. Il est aussi psychologiquement intéressant d’expérimenter la position seconde du scribe, maître de la forme par rapport à l’inventeur, maître du fond. De plus, je parle ici de textes courts qui vont du portrait à la quatrième de couverture, du résumé d’article scientifique à la présentation d’une politique d’aménagement ou d’une démarche de création ; c’est là aussi une dimension importante de l’investissement qui reste limité dans le temps et compatible avec d’autres projets.

* Je reprends le très beau titre de Marie Cardinal pour son récit autobiographique paru en 1977 (Les mots pour le dire, Paris, Grasset, 1975)